Pour quelques œufs volés…
En 1914, face à l'invasion rapide de l'armée allemande et aux horreurs qu'elle implique, les propriétaires du château Wastelier du Parc de l'époque font preuve d'une grande prévoyance en réunissant tous leurs biens les plus précieux. Bijoux, argenterie et vaisselle sont soigneusement enveloppés dans des linges étanches, puis déposés dans les profondeurs des douves. Ce trésor légendaire, objet de tant de convoitise, demeurerait pourtant à jamais enfoui dans cette cachette bien gardée.
Plongeons dans le récit de la captivante histoire de l'occupation du Château ! Le temps s'envole et nous voici en 1916-1917. Un général allemand, un aristocrate, investit la majestueuse bâtisse avec sa troupe. Quoi qu'il en soit, la cohabitation avec la propriétaire et ses trois filles se déroule de manière plutôt cordiale malgré les circonstances. Imaginez un peu, un château habité par deux camps ennemis qui doivent cohabiter ! Le tout dans un décor fascinant à souhait.
Un jour, l'une des demoiselles fait irruption dans la chambre de sa mère, la rage au cœur. Elle relate une histoire scandaleuse : un soldat allemand ose subtiliser des œufs dans le poulailler à leur insu ! Pour cette adolescente, cette affaire est dramatique, car sous l'occupation, chaque repas revêt une importance capitale. Cependant, malgré son jeune âge, cette demoiselle est pourvue d'une éducation irréprochable et ne tolère pas le vol. Ce délit est une bassesse qui ne sied pas aux personnes de qualité !
La Châtelaine, indignée par les agissements du chenapan dans son poulailler, ne peut laisser passer une telle impertinence sans réaction. Elle prend donc la décision de s'entretenir avec le général, consciente de l'importance de mettre fin à cette situation. Avec un ton noble et assuré, elle expose l'affaire et rappelle avec audace que la courtoisie requiert de demander la permission avant de se servir en œufs. Elle fait preuve d'un courage exemplaire, elle ose affronter l'ennemi et lui donne en même temps une leçon de morale.
Le général interroge la propriétaire, soulevant d'une voix forte et autoritaire la question qui lui brûle les lèvres :
— Qui, parmi mes soldats, se cache derrière ce vol ?
La dame, tétanisée, indique en regardant par la fenêtre l'auteur de ce méfait. Elle imagine déjà le soldat condamné à éplucher des montagnes de patates, ou pire encore, astreint à laver les latrines pour expier son crime.
Quelques jours s'écoulent et le général convoque la châtelaine. Il lui confie avec gravité qu'il était dans l'incapacité de divulguer le comportement du soldat en question.
La raison d'État primait et il se devait de préserver un silence aussi pesant que la nuit en temps de guerre. Il préparait une contre-offensive. Néanmoins, le dilemme avec ledit soldat est réglé d'une façon qui ne manque pas d'éclat.
En effet, il a placé ce malandrin en première ligne, le général sait pertinemment qu'il ne survivra pas à l'offensive qui se profile.
Aucune chance de s'en sortir vivant, il sera tué dès le début de l'assaut.
Satisfait du verdict, le général demande à la Châtelaine s'il a répondu à ses attentes.
Celle-ci le regarde avec mépris, lui fait un signe de tête de désarroi et tourne les talons.
Une fois dans ses quartiers, elle raconte la terrible histoire à ses filles.
Celle qui a regrettablement dénoncé le coupable culpabilise en disant à sa mère :
— J'ai 15 ans et j'ai tué un soldat allemand.
Voilà le triste destin de l'inhumanité qui règne de tout temps.
Pour quelques œufs volés…
Le grand auteur Victor Hugo dans une fiction intitulée "Les misérables" n'a-t-il pas relaté des faits existants en condamnant Jean Valjean à cinq ans de bagne pour le vol d'un pain en 1796 en pleine disette.
Dans notre beau village, Pierre Michel Monnet, le géant de Fretin, n'a-t-il pas été condamné à mort en 1789 pour avoir incité des paysans à couper de l'avoine sauvage sur les terres du seigneur d'Ennevelin là aussi en pleine disette ?
Avec mes remerciements à Olivier Hubin, petit-fils de Geneviève Favier, née Wastelier du Parc, qui m'a raconté l'histoire de sa grand-mère.
Et un grand merci à Louis Favier pour son aide dans mes recherches sur l'histoire du château de Fretin.
L'auteur Camille Lemaire Auteur
En hommage à mon arrière-grand-père
Joseph Octave Denecq
Mort pour la France le 06/10/1915
à l'âge de 31 ans